Argumentaire

Le cheval : un point de départ

Cette journée d’étude découle du projet EquiDisCo 2.0, où nous nous intéressons à l’évolution de la question du bien-être animal dans la filière équine. Nous investiguons les pratiques communicationnelles des collectifs militants et le rôle des réseaux sociaux numériques à la fois comme moyen de porter dans l’espace public une attention aux animaux mais aussi comme espaces où le cheval peut être présenté comme un animal de compagnie, comme partenaire, alter ego (Felga et al., 2023), voire comme une extension narcissique de soi.

Ces différents courants reconfigurent les pratiques équestres et plus largement la relation entre humains et non-humains, proposant des ontologies éloignées de la tradition équestre. En explorant la médiatisation et les effets de ces nouvelles ontologies, nous visons à comprendre les liens entre communication, société et bien-être animal, afin d'aider la filière équine à anticiper les enjeux de communication et à répondre aux attentes sociétales. Le cheval apparaît comme un exemple pertinent, puisqu’il illustre une pluralité de caractéristiques des animaux : il recouvre la sphère domestique, sportive, économique, affective, récréative, et alimentaire tout en étant médiatisé. Cette journée d’étude est l’occasion d’ouvrir concrètement la question à l’ensemble des animaux.

Le bien-être animal et la médiatisation de nouveaux rapports humains/non-humains

La question du bien-être animal semble prendre une place significative et croissante dans nos sociétés occidentales, faisant l’objet de médiatisations plurielles. La sphère législative s’est récemment emparée de la question, avec la publication du rapport Dombreval (2021) qui a servi de matière première dans l’écriture de la loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale. Pourtant, le sujet est étudié et documenté depuis plusieurs décennies dans de nombreuses disciplines : philosophie, sociologie, science politique (Micoud, 2010) ou plus récemment en sciences de l’information et de la communication (Kohlmann et al, 2023). Nonobstant les avancées sociétales, scientifiques et juridiques en la matière, la question du bien-être animale va bien au-delà de cette notion. L’intérêt sous-jacent demeure celui des relations entretenues entre les humains et les non-humains.

De nombreux travaux en sciences humaines et sociales sont particulièrement éclairants, qu’ils soient inscrits – ou non – dans les Animal Studies. Les travaux de Descola (2005) forment le socle de bon nombre des recherches, il examine et remet en question les distinctions traditionnelles entre humains et non-humains, en mettant en lumière la diversité des ontologies et des relations que différentes cultures entretiennent avec le monde naturel. La reconfiguration des relations entre humains et non-humains invitent à l’imagination de nouveaux récits, voire de nouvelles ontologies. Grâce à une capacité de symbolisation, les sociétés humaines créent des systèmes complexes de représentations pour interpréter, habiter et mettre en récit leurs mondes. Ces systèmes, appelés civilisation, culture, idéologie ou ordre symbolique, façonnent les comportements collectifs et résistent aux changements, rendant difficile l'abandon des habitudes établies (Micoud, op cit).

Les Animals studies (Singer, 1975) s’inscrivent dans le continuum de l’histoire des relations entre les sciences, la société et les non-humains (Michalon, 2017), dont de nombreux articles et revues se sont focalisés sur la reconfiguration des relations humains et non-humains par les sciences sociales (ibid. : 13), en faisant émerger un regard empathie dans l’étude de ces relations (Servais, 2004). Ces relations sont donc loin d’être immuables : elles sont constamment reconfigurées, parfois marginalement ou en profondeur.

Axe 1 · Le militantisme comme catalyseur des transformations sociétales

Le militantisme apparaît comme l’un des principaux ressorts dans la formation de ces nouvelles relations et ontologies, et est par ailleurs l’un des plus étudiés. Les mouvements sociaux possèdent plusieurs « dimensions », principalement fondées sur l'intentionnalité collective et la « logique de revendication » (Neveu, 2005). Ils peuvent aussi contenir une « composante politique » dans leur relation avec les autorités et les politiques publiques (ibid.).

À partir des années 2000, le militantisme animal s’inscrit dans un mouvement global, qui émerge significativement avec la crise de la grippe aviaire en 2006 (Manceron, 2012). Elle a mis en lumière les conditions d’élevage industriel et les risques sanitaires associés, provoquant de fait une émulsion militante chez de nombreux collectifs. Plus spécifiquement, la compréhension de cette « cause animale » suppose d’abord un regard historique sur les pratiques discursives des militants, et une perspective émotionnelle (Traïni, 2011 ; Carrié, 2013).

Il convient également de ne pas omettre l’activisme numérique : véritables « arènes » (Badouard, 2016 ; Chateauraynaud, 2011) et figure de proue de la déstabilisation des normes, des pratiques communicationnelles (Kohlmann et al., op cit) et de la relation entre les humains et non-humains.

Axe 2 · Les nouvelles esthétiques animales au prisme des RSN

Si la question de la relation humain/non-humain est fondamentale pour appréhender la question du bien-être animal, de nouveaux éléments questionne la notion même de bien-être. En chef de file, l’utilisation croissante des réseaux sociaux numériques (RSN), particulièrement en lien avec les supports audiovisuels, qui semble reconfigurer en profondeur cette relation. L’utilisation de la vidéo fait par ailleurs écho aux techniques militantes avec la démocratisation des caméras (Bourgatte, 2023). Les RSN permettent à des utilisateurs et utilisatrices, en dehors des sphères de militance, de médiatiser à la fois leurs animaux et eux-mêmes, générant ainsi un double discours et de nouvelles formes d’écriture focalisé sur le Je (Reille, 2022). Ces discours sont parfois mis en scène et participent à la reconfiguration du rapport à l’animal, où certains obtiennent un statut équivalent aux animaux domestiques, une véritable forme de « caninisation » (Schulz, 2010).

L’ensemble de ces nouvelles pratiques, parfois marchandisée, font assurément évoluer la relation entretenue entre les humains et les non-humains, mais interrogent sur la signification même du bien-être. Plaçant l’animal comme un compagnon de vie voire comme un membre de la famille, au détriment de ses besoins fondamentaux : on observe de nombreux exemples où des chevaux sont mis en scènes dans des pièces de vie comme le salon au sein desquels ils seraient supposés vivre. En d’autres termes, le bien-être animal est-il toujours au centre de cette relation esthétisée, ou est-il occulté au profit d’autres intérêts ? 

Par ailleurs, ces nouvelles esthétiques vont ressurgir la question de la suprématie : une suprématie occidentale envers les animaux d’abord (Le Marec, 2017) ; une suprématie genrée ensuite (Traïni, op cit), puisque les pratiques sportives comme l’équitation, faisant de fait intervenir des animaux, sont historiquement genrée (Menneson, 2011). Les militantes (Carrié et al., 2023) et les métiers rattachés (Reille, 2023) subissent ainsi d’autant plus cette division de genre.

Ainsi, cette journée d’étude vise à interroger les relations humains et non-humains, les mécanismes de résistance et d’évolution que sont le militantisme et les nouvelles esthétiques. Encore trop peu étudié, ces nouvelles esthétiques constituent un enjeu aussi émergent que significatif dans la reconfiguration des rapports humains et non-humains.

Bibliographie

Bourgatte, Michaël. (2023). « L’idéologie de l’organisation animaliste L214 : entre empowerment audiovisuel et vidéomilitantisme ». Communication & langages, vol. 215-216, n°1-2, pp. 143-157. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/comla1.215.0143 

Descola, Philippe. (2005). Par-delà nature et culture. Paris : Gallimard. 623p. 

Dombreval, Loïc. (2021). Rapport parlementaire visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes. 64p. Disponible sur : https://www.senat.fr/rap/l21-086/l21-0861.pdf 

Felga, Mathilde et al. (2023). À cheval sur les symboles. Une mythanalyse des rapports anthropoéquins dans les presses générale et sportive. RUSCA, (14). Disponible sur : https://rusca.numerev.com/articles/revue-14/3051-a-cheval-sur-les-symboles-une-mythanalyse-des-rapports-anthropoequins-dans-les-presses-generale-et-sportive

Kohlmann, Emilie et al. (2023). « Médiatisation du bien-être animal dans la filière équine :mise en visibilité et positionnement éthique des acteurs ». Actes de la SFSIC, 13p.

Le Marec, Joëlle. (2017). « Les pratiques de visite au zoo ». Questions de communication, vol.32, n°2, pp.75-104. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/quescommunication.11439 

Manceron, Vanessa. (2012). « Les vivants outragés. Usages militants des corps et perceptions des animaux d’élevage chez les défenseurs de la cause animale en France ». Cahiers d'anthropologie sociale, vol.8, pp.57-76. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/cas.008.0057 

Mennesson, Christine. (2011). « Socialisation familiale et investissement des filles et des garçons dans les pratiques culturelles et sportives associatives ». Réseaux, vol.168-169, pp.87-110. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/res.168.0087 

Michalon, Jérôme. (2017). « Les Animal Studies peuvent-elles nous aider à penser l’émergence des épistémès réparatrices ? » Revue d'anthropologie des connaissances, vol.11, n°3, pp.321-349. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/rac.036.0321 

Micoud, André. (2010). « Sauvage ou domestique, des catégories obsolètes ? ». Sociétés, vol. 108, n°2, pp.99-107. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/soc.108.0099 

Neveu, Érik. (2005). Sociologie des mouvements sociaux. Paris : La Découverte. 128p.

Reille, Coline. (2023). « Introduire l’éthique du care dans l’enquête de terrain :  Le cas d’une enquête de terrain en professions animalières ». Communication, vol.40. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/communication.18051 

Reille, Coline. (2022). « Les comptes dédiés aux animaux de compagnie sur les réseaux sociaux numériques. Étude du cas de la plateforme numérique communautaire Yummypets destinée aux propriétaires d’animaux de compagnie ». Journée d'étude de doctorants et jeunes chercheurs 14 juin 2022. Les discours numériques : enjeux linguistiques et communicationnels,  perspectives didactiques. Disponible sur : https://hal.science/hal-04246597 

Schulz, Pierre. (2010). Consolation par le chien: De la caninisation. Paris : Presses Universitaires de France. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/puf.schul.2010.01 

Servais, Véronique. (2004). « L’empathie et la perception des formes dans l’éthologie contemporaine ». In : Berthoz, Alain. L’empathie. Paris : Odile Jacob, pp.203-222. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/oj.berth.2004.01.0201

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